"Le Fantôme du Cirque d'Hiver"

Le Fantôme du Cirque d'Hiver
Fred Bernard & François Roca, 
éd. Albin Michel, dès 6 ans. 


AAAAhhh, Roca, la douceur au bout de ton pinceau, ton sens de la mis en page et des perspectives, ton don pour la lumière...Oui, François Roca, tes illustrations nous font toujours autant rêver! Et c'est bien le moment, en cette fin d'année...


Une histoire à deux voix, marquée par la petite icône du haut de page, celle de Spirit le singe vervet et de Dino l'ara bleu.


Le premier est rationnel et joue les intellectuels avec son livre qu'il feint de lire, le deuxième est superstitieux et, sous son bandeau de pirate, se cache la croyance indélogeable qu'un fantôme hante ce lieu qu'ils habitent. Dino arrive à convaincre Spirit de mener l'enquête auprès des animaux du Cirque. Nous entrons dans l'intimité du lieu: l'estrade, l'orchestre, les couloirs, les écuries, les cages, le bar de l'entracte et les coulisses. Chacun y va de son histoire, de ce qu'il a entendu dire, chacun avec son accent, son caractère: les tigres, les éléphants, le chien savant, le chat de la maison, les chevaux et les cacatoès qui répètent leur numéro. Autant de preuves pour Dino, autant de preuves de la crédulité de Dino pour Spirit!


Mais le spectacle commence et la fameuse Marina Ants présente ses fourmis savantes, son formidable numéro mettra les amis d'accord: l'un aura vu un spectre hanter la scène du Cirque, l'autre le génie humain qui, grâce à des techniques tels les images en relief et les hologrammes, aura émerveillé des milliers de spectateurs.

Une formidable plongée dans l'univers feutré et féerique de ce lieu vieux de plus de 150 ans dont une double page nous présente l'historique en fin d'ouvrage. 


Mesdames et messieurs, nous avons encore dans les narines l'odeur du foin et de la sueur, et les yeux qui plissent sous les projecteurs. 

"Une Bible"


Une Bible
Philippe Lechermeier & Rebecca Dautremer, 
éd. Gautier Languereau, dès 15 ans.


Cet ouvrage n'est pas nouveau, mais c'est le moment de l'année idéal pour en reparler.

À l'époque, j'avais mis du temps pour écrire la chronique parce que... un ouvrage pareil, ça intimide. On a peur de ne pas avoir les mots. Les mots...! Pour parler d'une telle perfection, il faudrait... j'sais pas moi, des bulles de savon, des notes de musique! C'est là, devant la page blanche, que je me suis reproché d'avoir utiliser le terme "chef d'œuvre" pour tout autre album que celui-ci. 

 Un livre écrin à la couverture en relief, aux tranches de pages couleur jade, à la typographie et à la mise en page soignées. Une "brique" épaisse et lourde... une "bible" quoi!


"Une bible comme un roman"... nous annonce-t-on. Philippe Lechermeier fait bien mieux, il nous nourrit d'un plaisir littéraire différent pour chaque chapitre: un hommage à toute les littératures pour une œuvre qui en influença plus d'une, une œuvre fondatrice qui fait partie de notre inconscient collectif et sans laquelle, au même titre que d'autres mythologies et en dehors de toute considération religieuse, on aurait bien du mal à appréhender notre patrimoine culturel.
Une bible comme un roman donc mais aussi comme un conte ou comme de la poésie, comme une farce, des mémoires ou une pièce de théâtre, comme des dits de moucheron, une prophétie, un dialogue burlesque ou un théâtre de marionnettes, comme des chroniques, l'annonce d'un crieur de rue ou les souvenirs d'une mère...


Le choix stylistique est toujours étonnant, judicieux, interpellant et original, drôle parfois, sensible toujours, ce qui nous permet de nous détacher d'un texte usé par les âges et les interprétations et d'en redécouvrir son essence. Noé qui se souvient, l'idiot et le voleur qui se racontent Babel au bord d'un chemin, une pièce de théâtre en trois actes avec chœur pour nous raconter Joseph et ses frères, une mouche qui nous parle de Moïse et de la mer, Jésus qui apprend le sort réservé à son cousin grâce à des pantins de bois, Marie qui entend dans la rue quelqu'un lire à haute voix le châtiment réservé à son fils et le revoit, petit, en poésie, quand il n'était qu'un enfant comme les autres mais qu'elle savait déjà qu'il n'aurait pas le choix...


Et puis, il y a la magie de l'illustration bien sûr. Les auteurs semblent être tous deux au sommet de leur art, le sommet interminable d'une montagne infinie! Tout comme Lechermeier pour le texte, Rebecca Dautremer nous offre un éventail d'illustrations incroyables en couleurs, en noir et blanc ou en sépia. Elle jongle avec des pleines pages époustouflantes et des petits croquis, des visages épurés en lignes claires, du fusain, dirait-on, des imitations de vieilles photographies ou de gravures dont l'encre aurait été essuyée à la va vite.





J'ai rarement vu chez elle des planches aussi sombres, telle la montagne aux crânes, ses gibets et ses corbeaux, ni aussi colorées, aux limites de la cacophonie chromatique, telle l'arrivée des rois mages à Jérusalem.



Et puis, ce qui me fascine toujours autant, c'est la faculté qu'a l'illustratrice à se détacher de toute influence, à faire tabula rasa de toutes les images préexistantes. C'était déjà le cas pour Elvis, Alice au pays des Merveilles, le journal secret du Petit Poucet...,mais ici, l'iconographie liée à l'Ancien et au Nouveau Testament a tellement imprégné notre civilisation, l'art, l'architecture, même le cinéma et les livres pour enfants, que nous livrer une image totalement vierge et novatrice relève du génie! J'sais pas... peut-être Rebecca Dautremer pratique la lévitation à haut niveau avec faculté d'effacement momentané de l'inconscience. Toujours est-il que la distance qu'elle nous oblige à prendre, jointe à celle imposée par Philippe Lechermeier a permis, pour ma part, de découvrir ou de redécouvrir des personnages dans toute leur dimension humaine, d'être émue, triste, amusée ou révoltée, d'être touchée au cœur par des destins.


Enfin, il y a son sens inouï de la perspective et ses points de vue inédits, il y a ses non-dits graphiques qui nous montre l'impacte qu'à une chose plutôt que la chose elle-même, l'art parfaitement maîtrisé du flou, des gros plans, de la transparence et des matières et puis,... son obsession des plumes (qui remplace ici celle des fourmis) et sa folie des détails.



Mon passage préféré? Marie enceinte se baignant dans la rivière après un long trajet à dos d'âne... Je ne vous montre pas cette illustration, découvrez-la vous-même!

Vous l'aurez compris, certains livres ont marqués mon année mais Une bible aura marqué ma carrière de libraire jeunesse, s’immisçant avec une évidence éclatante dans le cercle restreint de mes dix essentiels...

"Mon ami Fred"

Mon ami Fred
Eoin Colfer & Oliver Jeffers,
éd. Gallimard Jeunesse 
et Kaléidoscope, dès 5 ans.


Fred est un ami imaginaire et il flotte là, sur son nuage. Quand certaines conditions extraordinaires sont réunies et qu'un enfant solitaire a très très fort envie qu'il apparaisse, oups, il descend! Il fait alors de son mieux, et sans jamais se plaindre, pour être le meilleur ami imaginaire possible. Mais chaque fois, c'est pareil, l'enfant trouve un ami réel (ce qui est une bonne chose), Fred sent qu'il s'efface doucement... et rejoint son nuage. Or, Fred avait un rêve: trouver un ami qui ne le quitterait jamais et ait les mêmes goûts que lui pour le calme et la rêverie, la musique et le théâtre. Un jour c'est Sam qui l'appelle et Fred trouve en lui l'ami rêvé. Il forme même "le Duo Super-Doué" (ça en jette, hein!).



Un jour cependant, au milieu de ce bonheur parfait, Sam rencontre Sammi... Fred voit déjà ses mains disparaître et il prépare son ami à ce qu'il va arriver.


Mais... qui sait, peut-être que cette fois, les choses se passeront différemment car "ce n'est pas parce qu'un ami est imaginaire que l'amitié n'es pas réelle"!
Ce n'est certes pas le premier album qui parle d'ami imaginaire (Mon monstre et moi, Jeremy dessine un monstre... ) mais c'est le plus original. Bon, mais vous avez vu qui est aux commandes aussi: Colfer et Jeffers!

"L'enfant des livres"

L'enfant des livres
Winston Sam & Oliver Jeffers, 
éd. Kaléidoscope, dès 4 ans.



L'enfant des livres, c'est le plus bel enfant du monde. Celui qu'on espère voir prendre nos enfants par la main et les emmener au loin. Celui qui nous a pris nous-mêmes un jour et nous a tellement fait voyager qu'on n'a jamais plus voulu le lâcher. C'est l'enfant que l'on voudrait ne jamais oublier mais qu'on oublie parfois, submergé par notre vie sérieuse d'adulte.  L'enfant des livres c'est celui qui nous a fait découvrir, éberlués, que les lettres, les mots ne formaient pas que des phrases mais des océans aux vagues puissantes, des montagnes fascinantes et dangereuses, des forêts profondes et pleines de mystères, des grottes ténébreuses, des châteaux hantés, des univers infinis. L'enfant des livres vient d'un monde d'histoires et nous donne la clef de sa maison: l'imagination. Cette clef est notre bien, notre droit, notre trésor à tous.


En tant que libraire, comment ne pas aduler un tel livre! Oliver Jeffers y a mis tout son génie graphique utilisant les mots des contes, berceuses, romans universels pour façonner ses univers. Des vagues Gulliver et Monte-Cristo, des raz de marée Pinoccio, des chemins d'Alice, des îles aux trésors, des forêts Chaperon rouge, des monstres Frankenstein, des évasions Raiponce et des nuages Colas mon petit frère.



L'album se partage et intrigue dès 3 ans, se comprend dès 6 ans, se reconnaît et fait échos dès 8 ans et se savoure, un pincement de nostalgie au cœur, une fois conteur!

"Quand il fait nuit"

Quand il fait nuit, Akiko Miyakoshi, 
éd. Syros, dès 3 ans.



Cet album est d'une telle sensibilité, d'une telle douceur qu'à chaque fois que je le lis ou le partage, j'ai les poils qui se dressent, le frisson qui parcourt l'échine! Tout est dans la retenue, l’atmosphère d'une nuit déjà entamée et d'un petit lapin à moitié endormi qui retourne à la maison porté par des bras aimants. Les différents bruits qui parviennent à ses oreilles, les lumières qui s'allument là et s'éteignent ici, et tout l'imaginaire, entre monde des rêves et fin de journée bien chargée, qui y est attaché. Au milieu des rituels de soirée s'endort un petit lapin, doux comme le velours du fusain.  

Noël dans la forêt profonde...

Après la magie blanche de l'année passée,
nous avons choisi celle de la forêt profonde, 
celle des chevreuils et des loups, des conifères et des baies écarlates...

Au pied des sapins, c'est la fête aux longues pattes!
Ils font leur marché, cuisinent, et partagent leur goûter.










La nuit, la fête continue en toute intimité!











On s'enfonce dans la forêt, la gardienne est là, veillant sur ses sujets:
raton laveur, loup, renard, écureuil, lapin et chevreuil aux aguets...












La nuit le petit monde chuchote et partage des secrets...







Dans la petite vitrine, des lutins s'agitent pour construire la maison
d'Hansel et Gretel sous l’œil du cerf et de la souris.






Le chantier s'active toujours au crépuscule
grâce à monsieur rhino qui brille comme la lune!





Le froid est intense dans le nord américain!
Voici le temps des Cheyennes et de leur tipi, 
du bison, du renard et du petit monde d'Ingela Arrhenius.










Dans l'obscurité, sous les étoiles, la magie opère...
Joyeux Noël à tous, sur la terre!